Après avoir suivi une formation en arts graphiques, Stéphane Carricondo fonde en 1990 le collectif 9eme Concept avec Jerk 45 et Ned.
Stéphane Carricondo quand il dessine ses personnages nous confronte à l’histoire coloniale d’hier autant qu’à notre douloureuse actualité, toujours et encore faite de violences, de drames, de dominations et d’exil. Son œuvre nourrie d’images anthropologiques, ethnologiques, sociologiques mêlées à la spontanéité du graffiti fait étrangement écho aux inquiétudes et aux guerres qui sont le lot du quotidien. On se sent gêné par les regards fiers et inquisiteurs de ses héros anonymes qui nous questionnent en semblant demander : « Vous ne cesserez donc jamais ? »
Les documents originaux qui donnent naissance à ces portraits sont issus d’images photographiques prises dans des zoos humains lors des expositions coloniales. Dans un pseudo environnement pittoresque et tristement tropical, on n’hésitait pas à y exhiber, sous prétexte d’exotisme, des hommes, des femmes et des enfants d’ethnies non-occidentales.
Dans les restitutions de Carricondo, pas de caricatures ni d’apitoiements tiers-mondistes mais plutôt la mise en avant d’une pensée à double entrée, tributaire des luttes anticoloniales et d’un héritage humaniste. Ses visages qui s’accumulent, se superposent et se mélangent pour mieux nous déstabiliser contribuent à donner une réponse éclairante aux questions d’Aimé Césaire dans son fameux Discours sur le colonialisme quand il souligne qu’« une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde » et qu’ « il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. » L’artiste inspiré matérialise alors par ses traits méticuleux les visions du poète de la Martinique et démasque par la précision de sa ligne toutes les falsifications. Il réveille les esprits endormis par son dessin et ses coups de peinture rose, violet, turquoise… Ses têtes venues du monde entier nous rappellent que derrière la façade de l’humanisme européen se dissimulent la duplicité, le double langage et le travestissement du réel. Ses personnages sans nom, sans identité, sans papiers nous demandent : « Qu’est-ce que c’est que nous, aujourd’hui ? »
Le graphisme violent et maitrisé fait vibrer des silhouettes de fragilité, des lignes de précarité, des fissures de vies contemporaines. Carricondo en donnant voix aux sans-terre évoque Edward Said dans ses propos sur le brassage des cultures qui décortiquent la prose coloniale, le montage mental, les représentations et les formes symboliques servant toujours d’infrastructure à tous les impérialismes.
L’artiste s’intéresse à la mémoire pour exalter responsabilité et héritage et proposer dans sa peinture le rêve d’une nouvelle forme d’humanisme critique fondé avant tout sur le partage de ce qui nous différencie. C’est le rêve d’une « polis » universelle parce que métisse! Ce que Senghor appelait « une renaissance du Monde » dans sa « Prière aux masques »:
Masques noirs masques rouges, vous masques blanc-et-noir
Masques aux quatre points d’où souffle l’Esprit
Je vous salue dans le silence! (…)
Masques aux visages sans masque,
Dépouillés de toute fossette comme de toute ride
Qui avez composé ce portrait,
Ce visage mien penché sur l’autel de papier blanc
A votre image, écoutez-moi!
Stéphane Carricondo dans sa démarche plastique mélange avec délicatesse et virtuosité la précision du dessin anatomique et l’automatisme spontané du geste, le noir et les couleurs, le vide et les pleins, le corps et les esprits. Ses visions qui allient rêves et réalité proposent une réflexion aiguisée sur les fractures de l’existence humaine lorsque l’ennemi n’est plus seulement le colon, l’autre, mais aussi le « semblable, le frère ».
Renaud Faroux
After training in graphic arts, Stéphane Carricondo founded in 1990 the collective 9eme Concept with Jerk 45 and Ned.
Stéphane Carricondo when he draws his characters confronts us with the colonial history of yesterday as much as with our painful actuality, always and again made of violence, drama, domination and exile. His work, nourished by anthropological, ethnological and sociological images mixed with the spontaneity of graffiti, echoes strangely the anxieties and wars that are a part of everyday life. One feels embarrassed by the proud and inquisitive looks of his anonymous heroes who question us by pretending to ask, "You will never cease? "
The original documents that give birth to these portraits come from photographic images taken in human zoos during colonial exhibitions. In a pseudo scenic and sadly tropical environment, there was no hesitation in exhibiting, under the pretext of exoticism, men, women and children of non-Western ethnic groups.
In the restitutions of Carricondo, no caricatures or third-world mercies, but rather the putting forward of a double-entry thought, tributary to anti-colonial struggles and a humanist heritage. His faces, which accumulate, overlap and blend together to destabilize us, help to give an enlightening answer to the questions of Aimé Césaire in his famous Discourse on colonialism when he stresses that "a civilization that cunning with its principles is a Moribund civilization "and that" there is the poison instilled in the veins of Europe, and the slow but sure progress of the savagery of the continent. " The inspired artist then materializes with his meticulous features the visions of the poet of Martinique and unmasks by the precision of his line all the falsifications. He awakens minds asleep by his drawing and his strokes of pink, purple, turquoise ... His heads from all over the world remind us that behind the facade of European humanism conceal the duplicity, the double language and the travesty of reality. His unnamed, identityless, undocumented characters ask us, "What is it for us today? "
The violent and masterful graphics vibrate silhouettes of fragility, lines of precariousness, fissures of contemporary lives. Carricondo by giving voice to the landless evokes Edward Said in his remarks on the mixing of cultures that disseminate colonial prose, mental montage, representations and symbolic forms still serving as an infrastructure for all imperialisms.
The artist is interested in memory to exalt responsibility and inheritance and propose in his painting the dream of a new form of critical humanism based above all on sharing what differentiates us. It is the dream of a universal "polis" because Métis! What Senghor called "a rebirth of the World" in his "Prayer to the Masks"
Masks black masks red, you masks white-and-black
Masks at the four points from which the Spirit blows
I greet you in silence! (...)
Face masks without mask,
Stripped of any dimple as of any wrinkle
Who composed this portrait,
This mien face bent over the white paper altar
In your image, listen to me!
Stéphane Carricondo in his plastic approach mixes with delicacy and virtuosity the precision of the anatomical drawing and the spontaneous automatism of the gesture, the black and the colors, the void and the full, the body and the spirits. His visions, which combine dreams and reality, offer a sharp reflection on the fractures of human existence when the enemy is not only the colonist, the other, but also the "like, the brother."
Renaud Faroux